Mise en beauté & inégalités
Bien sûr, le choix de nos vêtements, de nos accessoires ou de nos objets de décoration intérieurs, concerne une multitude de stratégies sociales à la fois individuelles et collectives : ancrage socio-économique, ancrage culturel et politique, stratégies de différenciation sociale, identification à des communautés, à des identités de genre, à des cultures, etc.
CAPITAL BEAUTÉ ne remet pas en question l’importance de ces aspects liés aux stratégies sociales de présentation de soi. Ce que CB aborde de front, c’est plutôt la recherche à être jugéexs comme faisant partie des personnes « belles » et à éviter d’être jugéexs comme faisant partie des personnes « laides », parce que CB part de l’avis que les répercussions liées à ces jugements touchent la plupart des aspects de nos vies : l’accès aux histoires d’amour, à l’emploi, au logement, aux cercles amicaux, à la sexualité, etc.
La création se donne pour but d’identifier les écueils des sociétés occidentales liés à la culture de la mise en beauté permanente, d’analyser la propension à juger les autres selon des critères de beauté ou selon la qualité de leur mise en beauté et d’identifier la peur d’être jugé.es en retour sur la base de ces mêmes critères.
Avoir un beau visage, un beau jardin, un beau salon, un beau corps, une belle voiture, des beaux enfants, ça demande des quantités de travail et d’argent énormes. Le postulat de départ repose sur la conviction que toutes ces dépenses mentales, temporelles et économiques pourraient largement être revues à la baisse, afin de se libérer individuellement et collectivement des injonctions esthétiques et d’utiliser ces ressources dans d’autres domaines de la vie.
La beauté coûte que coûte
CAPITAL BEAUTÉ est un spectacle-recherche; le sujet et son champ d’intérêt sont clairement balisés, mais les contours de la forme scénique finale ne sont pas encore complètement dessinés. En effet, pour l’instant, les résidences de recherche ont permis d’établir le sujet de la pièce et les buts visés pour la création du spectacle. L’une des premières hypothèses scénique est celle de proposer au public, le temps d’un spectacle, d’observer toutes nos vies sous le prisme de la dépendance à l’ultra-esthétisation normative de nos corps et de notre environnement. L’enjeu est d’explorer cette hypothèse avec jusqu’au-boutisme et absurdité, de plonger dans un vortex de causalités, de le suivre religieusement, afin de révéler quelques vérités difficiles à confesser. Et si tous nos choix étaient déterminés par l’envie d’être beaux, belles et désirables ?
Est-ce que le choix de nos études est guidé par la volonté de rouler dans une belle voiture ou sur le vélo électrique dernier cri ? est-ce qu’on peut choisir un métier pour son uniforme sexy ? fait-on le choix d’habiter dans tel ou tel quartier parce qu’on le trouve « joli » ? garde-t-on un travail que l’on n’aime pas dans le but de louer un appartement qui a du cachet ? un petit bijou avec poutres apparentes et fenêtres de toiture ? Et si tous les choix de notre vie étaient conditionnés par la volonté de vivre dans de beaux environnements, par la volonté de bien habiller ses enfants et de faire de belles photos de vacances ? Et si, au fond, on écoute davantage Mélissa que Catherine, parce qu’elle a des beaux yeux pétillants et intelligents ? d’ailleurs, est-ce qu’on ne l’embaucherait pas ? est-ce que, nos ami.es, on ne les choisirait pas un peu parce qu’iels sont beaux et belles ? est-ce qu’on ne garderait pas quelques potes moins sexy pour se remonter le moral ? et certains avis politiques, il faut bien le dire, sont quand même plus simples à entendre lorsqu’ils sortent de la bouche d’une jolie femme, aux cheveux blonds et aux yeux bleus... Et si on travaillait autant pour s’agripper, coûte que coûte, à des beaux objets ? Tout ça pour se dire qu’on la mérite bien cette beauté ! qu’on s’est tellement investi.es ! qu’on a tout fait pour mériter ce petit jardin à l’anglaise et ce magnifique fauteuil en cachemire ! Et si on l’a tant mérité ce fauteuil, personne ne nous l’enlèvera ! Ni la menace environnementale, ni la pauvreté des moches, ni les conditions de travail exécrables dans lesquelles ce fauteuil a été construit. On garde le cap, on tient bon, on passe 8 heures par jour à faire des tâches qui ne nous apportent pas grand chose et on empoche les quelques milliers de francs nécessaires à investir dans l’esthétisation de soi et de ce qui nous entoure.
Peut-être que notre société prend parfois les allures d’un gigantesque concours de beauté aux allures eugénistes dans lequel on a bien intérêt à briller.