GRAVISSIME est un duo au ralenti interprété par Anne Delahaye sur des suites pour piano de Haendel jouées par Louis Bonard. Bien que cela s’adresse à des enfants, GRAVISSIME fait le pari d’un certain minimalisme et ne se repose pas sur les ressorts du rire, afin de parler à des enfants. Le principe est simple.
Le joueur de piano
Louis Bonard joue des suites pour piano de Haendel au bord du plateau pendant les 30 premières minutes d’un spectacle qui durerait environ 45 minutes.
Une créature d’abord fantastique
Anne apparaît sur scène comme un être fantastique et étrange. Son costume relève du merveilleux, il lui donne une allure fascinante et allonge sa silhouette hypnotisante. C’est le seul personnage sur le plateau et, tout au long de la pièce, il bouge au ralenti.
La temporalité de la créature
Les mouvements de cette créature sont lents, mais amples et ultra démonstratifs. Les expressions faciales, extrêmement marquées, sont à la base de la partition. Un solo en slow motion d’une trentaine de minutes prend la forme d’une lente et longue avancée, qui va de l’arrière du plateau à l’avant du plateau. Cette créature est sans cesse en proie à de tumultueuses émotions qui l’empêchent de sortir de cette temporalité si lente. Elle semble essayer de se défaire de quelque chose, on ne sait pas exactement de quoi, mais elle a l’air d’échouer. Bien que tout soit au ralenti, elle peut passer d’une posture menaçante à une posture menacée en peu de temps. C’est la temporalité des émotions effrayantes : la colère, la peur, l’empêchement, la gêne. On se reconnait dans ce personnage sans cesse empêché par l’abondance des émotions, on se contemple nous-mêmes, avec des visages déformés par la frayeur, le pouvoir ou la colère.
La temporalité du pianiste
Le pianiste ne semble pas véritablement connecté à ce qu’il se passe sur le plateau, il continue à jouer ses suites pour piano de Haendel qui accompagnent l’aventure émotionnelle de ce personnage, elles y apportent à la fois de la légèreté et du tragique. Louis et Haendel occupent une temporalité et une durée vécue « normale » : les suites se suivent et le temps ne semble jamais s’écouler, c’est la temporalité des autres, du public peut-être, en tous cas pas celle de ce personnage qui semble occuper une durée bien plus compliquée et distendue.
D’une créature fantastique à un être humaine à nu
Au fur et à mesure que le temps passe, que le personnage en proie à toute la physicalité de ses émotions se tord et se remodèle sans arrêt, il se défait de son costume volumineux. Il devient de plus en plus « humain », de moins en moins « fantastique ». Il retrouve sa silhouette humaine, simple et peut-être un peu misérable, mais certainement moins tragique et plus reconnaissable.
La prise de parole
Ce slow motion de 30 minutes aboutit à une prise de parole. C’était donc aussi de cela qu’il s’agissait! L’interprète essayait péniblement de prendre la parole, d’oser parler devant nous en se défaisant de la surabondance d’émotions. Que va-t-elle nous dire ? Quelque chose de génial ? Quelque chose de terriblement banal ?