Le Recueil des Miracles

RTS, la 1ère, Vertigo & CCC, 11 janvier 2024, par Thierry Sartoretti
« Figurez-vous un cercle de musiciens puisant et s’épuisant dans le répertoire de la tarentelle, cette musique du sud de l’Italie qui servait à soigner épilepsies et dépressions »
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Le Courrier, 5 janvier 2023, par Tamara Bongard
«Le Recueil des Miracles est un projet dont la genèse date de plusieurs années, mais qui a pris son nom il y a environ trois ans. »
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Leprogramme.ch, 24 janvier 2024, Bertrand Tappolet
«Claire Dessimoz: Ernesto de Martino met en avant l’appropriation par l’Eglise de la tarentelle en lui ôtant la musique. Or, l’on se rend compte que, sans la musique, les personnes participant à ce rituel notamment dansé ont l’air inadaptées et plongées dans un état de crise. Pour le travail sur le mouvement, nous nous sommes appuyés sur cette hypothèse précise développée par Ernesto De Martino. Ceci en nous concentrant aussi sur le silence. »
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Théâtre de Vidy, Interview, janvier 2024
Une interview de Claire Dessimoz et Louis Schild à propos de la création du spectacle.
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Rituel, pouvoir, démence

On ne connaît pas de rituels de possessions sur cette planète qui n’ait pas quelque chose à faire avec les oppressions. Si le tarentisme, ce phénomène culturel originaire des Pouilles en Italie dans lequel des femmes dansent, en transe, suite à une dite-piqûre par une araignée, est le seul de ceux-ci qui ne dit pas en être un, il leur ressemble sur bien des aspects. On ne parlera pas dans le tarentisme de personnes possédées mais de personnes mordues pour qui les modalités opérantes de la cure par la (« juste ») musique et la (« juste ») danse sont similaires ou néanmoins comparables au Vaudou haïtien.

Tout le monde ne se fait pas mordre, ou plutôt certains profils ont une plus grande propension à se faire mordre. Il s’agit bien chez les tarentulé.e.s d’une majorité de femmes, issues de familles pauvres. La logique voudrait qu’il ne s’agisse pas là d’un hasard, mais de rappeler que c’est « ces gens-là » qui travaillent majoritairement dans les champs là où il est plus probable de rencontrer des tarentules. A cette logique qui arrange ¬– qui voudrait que ces femmes et ces hommes ressentent à la suite d’une morsure un tel ennui qu’ils et elles seraient pris et prises de démences – s’impose celle, commune aux autres rituels de possessions, qui relèverait du systémique. Celle-ci dit qu’une personne sujette à une dépression de par sa position en bas de l’échelle sociale, a « intérêt » à se « faire mordre » pour pouvoir, d’une part, se laisser entraîner dans une folie exutoire (dont on la prive le reste du temps) et, d'autre part, avoir exceptionnellement une agentivité sur sa condition sociale en prenant le statut – autant craint que respecté – de tarentulé.e et ce en suivant des codes culturels précis de « décompensation ». Il s’agit bien de codes culturels en lien avec des procédés de mimesis qui, selon les théories foucaldiennes, restent encore des angles morts de la psychologie institutionnelle.

Ces clés de lecture différentes d’une même situation entraînent bien d’autres ambiguïtés. La cure domiciliaire des tarentulé.es se fait en accompagnant le ou la malade dans sa danse exutoire avec la musique et la couleur définies comme justes selon la tarentule qui l’aura mordue. Cet accompagnement se fait souvent avec une grande audience. On peut y voir là un mode collectif et solidaire, toujours régi par ces mêmes codes, de suivi d’une personne malade en l’accompagnant plutôt qu’en la contraignant. Qui préférerait un internement en clinique psychiatrique ?

On peut y voir cependant des rouages bien plus pervers là où tout est mis en place pour que rien ne change – une façon de s’octroyer une liberté partielle pour mieux mater les libertés fondamentales. Sans parler des membres de l’audience qui s’adonnent volontiers à du voyeurisme quand ils peuvent assister à des scènes de femmes partiellement dénudées rampant au sol, éreintées par leur danse.

La tarentelle se présente bien comme une cure alternative, fondée sur la transe et une pratique populaire de la musique au sud de l’Italie. Si elle peut paraître préférable à la psychiatrisation, elle s’inscrit néanmoins dans des logiques de pouvoir – et surtout, l’ensemble de ses dimensions politiques transitent, d’une manière ou d’une autre, par la musique et le son. La tarentelle et ses enjeux forment le squelette idéologique et pratique du Recueil des miracles, un squelette à questionner, à tordre, voire à rompre.

L'histoire de la tarentelle et la manière dont elle permet d'articuler des réflexions sur le rôle politique, rituel et social de la musique sont le point de départ du Recueil des Miracles. L’idée formelle de départ sera la suivante : articuler et réarticuler, dans l’espace et le temps de la représentation, des éléments répétés musico-sonores, chorégraphiques ou voco-textuels.

Aucun rituel, on l’a dit, ne peut prétendre se désancrer des logiques de pouvoir et des dynamiques oppressives de la société qui l'a vu naître. Le rituel reflète, agit et reconfigure le pouvoir qui le traverse. Le Recueil des Miracles, bouillonnant des tensions entre le naturel, le culturel et le populaire cherchera la déflagration, la destruction des amalgames.

Pas de rituel, même scénique, sans catharsis : le spectacle questionne le bien et le mal, la relation complexe entre violence et passivité, ce qui se libère et ce qui est tenu enfermé, ce qu’on veut garder et ce qu’on veut éliminer. Que peut-on séparer, par la pensée ou par la musique ? Quels sont les éléments destinés à rester conjoints ?